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Custer observait avec une satisfaction grandissante celui qu’il appelait déjà le coupable. C’était un Brisbane piteux, la cravate de travers, la chemise blanche froissée, les cheveux en bataille, des ronds de sueur sous les bras, qui se tenait à présent devant lui, les mains menottées dans le dos. L’homme est décidément bien peu de chose, pensa intérieurement un Custer rendu philosophe par la gravité des circonstances. Il reconnaissait volontiers en Brisbane un adversaire à sa hauteur. Il avait d’ailleurs dû faire appel à toute sa science d’enquêteur pour parvenir à briser la façade d’arrogance et de suffisance que le vice-président du Muséum arborait avec le plus grand naturel. Mais le masque avait fini par tomber et Brisbane n’était plus qu’un pantin brisé aux yeux rougis, aux lèvres tremblantes. Il n’avait pas imaginé un seul instant que Custer parviendrait à le faire craquer. C’est le coup des menottes qui l’a achevé, se disait Custer avec l’assurance d’un grand professionnel. Il avait eu l’occasion de constater l’efficacité de ce simple geste à de nombreuses reprises au cours de sa carrière. Il avait vu des types encore plus coriaces que Brisbane s’effondrer en entendant le bruit mat des menottes se refermant sur leurs poignets. La sensation froide et brutale du métal sur la peau, un sentiment d’impuissance en réalisant qu’on bascule dans un autre univers, celui de la prison, suffisent généralement à venir à bout des plus endurcis.

Le gros de l’enquête était terminé, même si tout n’était pas fini. Il faudrait encore pas mal de temps pour réunir tous les détails, rassembler toutes les pièces à conviction et monter un dossier en béton, mais ce travail de routine n’était plus du ressort de Custer qui n’avait plus qu’à tirer sa révérence.

Son regard croisa furtivement celui de Noyes, dans les yeux duquel il lut une admiration sans borne confinant à la vénération. Brave Noyes !

Custer se tourna vers le coupable :

— Alors, Brisbane, les pièces du puzzle se mettent en place, pas vrai ?

Le vice-président le regardait avec des yeux dans lesquels se reflétait l’incompréhension la plus totale.

— C’est marrant, mais c’est toujours comme ça, reprit Custer, lyrique. Les assassins sont toujours persuadés qu’ils sont plus malins que tout le monde, en particulier la police. Mais à bien y réfléchir, Brisbane, tu n’es pas si malin que ça. Tiens, par exemple, le fait de garder ton déguisement dans le placard de ton bureau. Tu étais trop sûr de toi. Ou encore tous ces témoins que tu as eu la bêtise de laisser derrière toi. Me dire que tu ne savais pas combien de fois tu étais allé aux archives, alors que Gibbs tenait le compte exact de tes allées et venues. Ou encore tes victimes, que tu t’acharnais à dénicher près de chez toi ou à côté du Muséum. Pas très malin, tout ça. J’en passe, et des meilleures.

La porte du bureau s’ouvrit, laissant passer un agent en uniforme qui glissa un fax dans la main de Custer.

— Tiens, quand on parle du loup. Une preuve accablante de plus, poursuivit-il en brandissant le fax. On sait même où tu as appris à charcuter tes victimes, Brisbane. Je lis ici que tu as commencé des études de médecine à Yale. Tout s’enchaîne.

Il passa le fax à Noyes qui le prit aussitôt comme s’il s’agissait du Saint Sacrement.

— Tu as changé d’orientation au bout d’un an pour suivre des études de géologie avant de faire ton droit.

Custer secoua la tête d’un air désabusé. Décidément, les criminels seront toujours des imbéciles.

Brisbane parvint à reprendre suffisamment d’ascendant sur lui-même et retrouva la parole :

— Mais enfin, capitaine, un peu de bon sens ! Toute cette histoire ne tient pas debout. Je ne suis pas un assassin. D’abord, pourquoi aurais-je tué ces gens ?

Custer haussa les épaules.

— C’est à toi de nous le dire. Rappelle-toi, c’est la première question que je t’ai posée en t’arrêtant. Mais les psychopathes savent-ils vraiment pourquoi ils ressentent le besoin de tuer ? Qu’est-ce qui a bien pu pousser Jack l’Éventreur à tuer ? Et Jeffrey Dahmer ? Personnellement, je laisse le soin aux psychiatres de répondre. Ou bien à Dieu.

Sur cette pensée profonde, Custer se tourna vers Noyes :

— Arrange-toi pour convoquer la presse. Minuit pile au 1, Police Plaza. Non, attends une seconde... Faisons ça sur les marches de l’entrée principale du Muséum, ça aura plus de gueule. Tu préviens les journalistes et le préfet Rocker, sans oublier le maire. Tu le joins directement sur sa ligne privée à Gracie Mansion. Tu le réveilleras sûrement, mais il ne risque pas de nous en vouloir quand tu lui expliqueras pourquoi. Dis-lui qu’on a arrêté le Chirurgien.

— Bien, capitaine, répondit Noyes, fier de la mission que son chef lui confiait.

— Sur les marches du Muséum ? Mais enfin, vous n’y pensez pas ! Toute cette publicité ! Le Muséum ne s’en remettra jamais, s’écria Brisbane, la voix brisée. Capitaine, j’aurai votre peau pour ce qui... ce que...

Étouffant de rage, il n’arrivait pas à terminer sa phrase, mais Custer ne l’écoutait déjà plus, car son esprit fertile venait de lui souffler une nouvelle idée géniale.

— Attends une seconde ! fit-il à Noyes dans le couloir. Préviens le maire de se préparer à avoir la vedette. C’est à lui d’annoncer la capture du coupable.

Ravi de sa trouvaille, Custer referma la porte du bureau en rêvant à l’avenir glorieux qui l’attendait. Les élections municipales devaient avoir lieu dans une semaine. Avec un tel succès à son palmarès, le maire ne pouvait plus perdre. Lui laisser l’honneur d’annoncer lui-même l’arrestation de Brisbane, c’était s’assurer une belle promotion. On murmurait déjà que le poste de préfet de police serait bientôt à prendre, et comme la vie est faite d’espoir...